Pas de souveraineté numérique sans talents ni compétences

Sébastien DHÉRINES
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Tribune de Sébastien DHÉRINES, Président de l’École Hexagone, publiée dans le Journal du Net le 10 novembre 2021.

Le 2 novembre 2021, Cédric O a présenté un plan de soutien au Cloud française, notamment destiné à relever le défi de la souveraineté numérique. Pendant son discours, le ministre a rappelé l’importance pour les étudiants français en informatique d’étudier sur des produits Français. Or, actuellement, les grandes écoles forment leurs élèves avec des technologies américaines majoritairement.

Dans le domaine des technologies de l’information, les Américains sont, avec les GAFAM, en position de force. En cas de désaccord diplomatique profond, avec le déport de nos données sur le Cloud, les États-Unis pourraient d’un simple clic mettre à mal nos infrastructures IT, avec les très lourdes conséquences que l’on peut imaginer.

Répondre aux enjeux de souveraineté numérique, accentués par la crise sanitaire, impose un élément parfois oublié : la formation est la 1ère étape pour développer l’utilisation d’une technologie, car son succès repose sur l’existence de compétences et de talents pour l’utiliser !

Utiliser des technologies américaines, une norme

Les géants mondiaux de l’IT l’ont bien compris. Ils développent des départements académiques, avec l’objectif de former un maximum d’étudiants à leurs technologies, ce qui leur assure un retour sur investissement à long terme.

Citons par exemple Microsoft, Google ou Cisco. Ils fournissent aux établissements d’enseignement supérieur, en libre-service et gratuitement, des supports de formation et des licences logicielles. À la recherche d’économies, les grandes écoles cèdent à la tentation, et utilisent ces ressources pour former leurs étudiants.

Résultat : une fois en entreprise, les jeunes diplômés ont tendance à orienter les achats vers ces technologies, auxquelles ils ont été formés et auxquels ils sont habitués. Les entreprises françaises, y compris les organisations publiques, utilisent alors naturellement ces solutions.

La France à la traîne ?

En France, l’utilité de cette démarche n’est pas encore ancrée dans les esprits. Les entreprises et les structures d’enseignement supérieur travaillent ensemble sur les questions de recrutement, de recherche, mais il existe encore peu de partenariats générant une vraie création de valeur.

Seules quelques sociétés ont développé des académies à destination des écoles et des universités, comme Stormshield, filiale d’Airbus spécialisée dans la cybersécurité, qui s’inscrit résolument dans une logique de formation et de certification. Ou encore Outscale, la filiale de Dassault Systèmes dédiée au Cloud.

Lorsqu’on parle de souveraineté numérique, il faut regarder la réalité en face : il existe en France des sociétés technologiques aussi performantes que les sociétés américaines. Mais elles ne pourront se développer que si elles disposent, dans les entreprises, de compétences pour mettre en œuvre leurs technologies.

Les entreprises françaises doivent donc solliciter les établissements d’enseignement supérieur et travailler sur le fond des programmes académiques : en intégrant leurs technologies dans le cursus de formation des futurs diplômés. Sinon, ils laisseront encore la place aux acteurs américains et chinois.

Conquérir les marchés émergeants

Mais il faut aller plus loin et se projeter au-delà des frontières. Car le marché domestique est trop limité pour assurer la pérennité d’une entreprise technologique. Si elle ne veut pas être rachetée par un concurrent étranger, elle devra conquérir des parts de marché à l’international.

Là encore, pour s’emparer de ces marchés rapidement et avec un coût d’entrée minime, les entreprises françaises ont tout intérêt à s’allier à des établissements d’enseignement supérieur.

Les pays émergeants en voie de transformation numérique cherchent par exemple à structurer leur offre de formation en informatique. Les entreprises et les écoles françaises auraient tout intérêt à s’allier pour créer dans ces pays des formations numériques fondées sur l’utilisation de technologies françaises. Une fois en entreprise, les jeunes diplômés locaux seront ainsi les premiers ambassadeurs de ces technologies.

C’est grâce à cette solution d’intelligence économique que les éditeurs français pourront conquérir la souveraineté numérique et gagner de nouveaux clients à l’international. Car pour développer les technologies françaises, il faut d’abord former les futurs utilisateurs de ces technologies !